D’où que l’on vienne, elle apparaît à l’horizon, telle un vaisseau de pierre. La cathédrale Saint-Etienne de Bourges, édifiée au XIIIe siècle, n’en finit plus d’impressionner par ses dimensions monumentales, et ses particularités architecturales.
Construite à partir de 1195 sur le site d’une ancienne cathédrale romane fortement endommagée à la suite d’un incendie, elle fut consacrée le 13 mai 1324. Six siècles plus tard, ce chef-d’œuvre architectural reçoit la reconnaissance ultime avec son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en 1992. Attirant 600 000 touristes chaque année, elle est considérée aujourd’hui comme une des plus belles cathédrales de France.
Une architecture originale, mais ancrée dans son époque
La cathédrale de Bourges est représentative du gothique dit « classique », au même titre que la célèbre cathédrale de Chartres. Son plan, établi par un maître d’œuvre inconnu, est en certains points similaire à celui de Notre-Dame de Paris. On y retrouve notamment un double déambulatoire et une voûte gothique sexpartite. Henry de Sully, l’archevêque de Bourges qui avait ordonné et en partie financé la construction de la cathédrale, est d’ailleurs le frère d’Odon de Sully, évêque de Paris à la même époque. Le cinéaste Jean-Jacques Annaud, pour le tournage de son film « Notre-Dame brûle » a réalisé certains plans à Bourges en raison des points communs des deux cathédrales.
Pourtant, des éléments spécifiques en font un monument unique en son genre :
- L’absence de transept, qui donne habituellement une forme de croix aux édifices religieux et qui ici permet une unité de l’espace intérieur.
- La façade occidentale à cinq portails correspondant aux cinq nefs. Cela confère à la cathédrale une largeur de 41 mètres, un record en France !
- La structure pyramidale à cinq niveaux.
- La multiplication des ouvertures permettant une meilleure circulation de la lumière.
- La présence d’une église basse mais lumineuse, appelée à tort « crypte ».
- Deux tours de hauteurs différentes.
Un édifice qui a su traverser les siècles et les épreuves
Il n’a fallu qu’une petite vingtaine d’années (1195-1214) pour construire la première moitié de l’édifice. Après une décennie de pause, la construction reprend et tout le gros œuvre est achevé en 1230. Les finitions et les réalisations des tailleurs de pierre ont perduré jusqu’à la fin du XIIIe siècle.
En 1313, il faut soutenir la tour sud (la moins haute), qui menace de s’écrouler du fait de fissures, en construisant un énorme arc-boutant. La tour, néanmoins fragilisée, n’a jamais pu recevoir de cloche. Cela lui vaudra un surnom qu’elle porte toujours : « La Tour Sourde ».
La tour nord quant à elle, n’est achevée qu’en 1480, mais du fait de ses mauvaises fondations, s’écroule le 31 décembre 1506. Elle est totalement reconstruite à partir de 1508. Elle est surnommée « Tour de Beurre » car elle fut en partie financée par les dons des fidèles, qui, en échange de leurs subsides, obtenaient l’autorisation de manger gras pendant le carême. Douze cloches y furent installées. Toutes ont été fondues à la Révolution, sauf la plus grosse, conservée pour servir de système d’alarme. Aujourd’hui, elles sont au nombre de six. Les 396 marches permettent d’accéder à une terrasse depuis laquelle on peut admirer toute la ville. Une inscription en haut de cet escalier indique que le jeune Louis XIV y est monté le 9 octobre 1651 (il avait 13 ans).
L’architecte Antoine-Nicolas Bailly entreprend la restauration complète de la cathédrale au XIXe siècle. Il demande notamment au ferronnier Pierre Boulanger de réaliser les grilles du chœur en fer forgé.
Aujourd’hui, d’importants travaux de rénovation, notamment de la toiture et de l’arc-boutant de la Tour Sourde sont entrepris, ainsi qu’une mise en conformité électrique. Voilà un problème que les bâtisseurs originels n’avaient pas ! La conservation d’un tel édifice nécessite évidemment de lourds investissements et des travaux quasi-constants. Née à Bourges à la fin des années 70, il ne m’est guère arrivé d’admirer « ma » cathédrale sans échafaudages sur une façade ou une tour.
Bourges ayant été désignée Capitale de la culture 2028, nul doute qu’une bonne partie des investissements sera consacrée à la mise en valeur de l’édifice.
Un monument qui regorge de trésors
La cathédrale de Bourges est un véritable joyau de l’architecture médiévale. Ses vitraux, son tympan ou son horloge astronomique ont largement contribué à sa réputation bien au-delà des frontières.
Des vitraux parmi les plus anciens de France
La collection de vitraux de la cathédrale s’étend du XIIIe jusqu’au XVIIe siècle. Les plus anciens et les plus spectaculaires se trouvent dans le déambulatoire et dans les chapelles rayonnantes. Ils racontent plusieurs épisodes de la Bible, notamment du Nouveau Testament (parabole de l’enfant prodigue, histoire de la Passion, le Jugement dernier, l’Apocalypse…).
La grande verrière du pignon occidental appelée le « Grand Housteau » (« ouverture » en berrichon), comporte deux parties d’époques différentes. La partie haute accueille l’impressionnante rosace commanditée par le duc Jean de Berry à la fin de XIVe siècle.
Les cathédrales de Chartres et de Bourges revendiquent chacune les plus beaux vitraux. Est-il vraiment nécessaire de les départager ? Les vitraux de Chartres séduisent par la subtilité de leurs bleus, ceux de Bourges par la flamboyance de leurs rouges.
Le tympan du jugement dernier
Au-dessus du portail central de la façade occidentale, les sculptures du tympan du XIIIe siècle, tel un véritable livre de pierre, racontent une des scènes les plus emblématiques de la Bible. De bas en haut sont d’abord représentés les morts nus et ressuscités. Vient ensuite le jugement des âmes pesées par un ange et séparées en élus et damnés. Ces derniers sont mis à bouillir par les démons dans un chaudron. Tout en haut, le Christ trône et juge, entouré d’anges portant les instruments de la Passion.
En 1562, la cathédrale de Bourges est prise par les protestants. Ses sculptures sont gravement endommagées, mais celles du portail central ont été étonnamment préservées.
L’horloge astronomique
Réalisée au XVe siècle, cet instrument a été réalisé par Jean Fusoris, ecclésiastique scientifique et mathématicien. Elle est la plus ancienne horloge astronomique conservée en France. D’une très grande précision, elle n’a qu’une seconde de décalage pour 150 ans.
Son cadran supérieur à deux aiguilles donne les heures.
Le cadran inférieur, plus complexe, offre les indications suivantes :
- le jour dans le zodiaque ;
- le mouvement mensuel de la lune ;
- les phases de la lune ;
- le mouvement annuel du soleil ;
- la position du soleil dans le ciel.
Bernard Capo, auteur de bandes dessinées bien connu dans le Berry, lui consacre d’ailleurs un de ses albums.
Le grand orgue
Le buffet en chêne de l’orgue de la cathédrale date du XVIIe siècle. La partie instrumentale a été plusieurs fois modifiée, voire reconstruite au fil du temps. Son état actuel est le fruit de la reconstruction de l’instrument par Daniel Kern dans les années 80.
Des secrets réservés aux plus curieux
La cathédrale de Bourges est toute disposée à révéler ses mystères aux visiteurs les plus observateurs ou les plus curieux.
Les facéties des tailleurs de pierre
Les ouvriers ont parfois caché des détails que l’on ne s’attend pas à trouver dans un édifice religieux. Voulaient-ils se venger de leurs conditions de travail ou étaient-ils simplement amateurs de plaisanteries ? Toujours est-il que plusieurs sculptures représentant des paires de fesses peuvent être observées à certains endroits discrets de l’édifice, notamment dans la galerie nord qui descend dans la crypte ou sur un mur extérieur côté sud.
Depuis peu, l’office de tourisme de Bourges propose une expérience immersive en réalité virtuelle, « La loge des Bâtisseurs ». Elle permet de découvrir les gestes des tailleurs de pierre et des peintres qui ont œuvré à l’époque.
Le solstice d’été matérialisé
Tous les 21 juin, un rai de lumière passe par un trou minuscule percé sur le coude d’un personnage représenté dans un vitrail à 19 mètres de haut, probablement Saint-Jean. Le rayon descend progressivement sur un pilier et vient finalement recouvrir au millimètre près un rond tracé au sol, que l’on ne remarque pas habituellement. On sait alors que le soleil est à son zénith en ce jour le plus long de l’année. Puis juste quelques secondes plus tard, la lumière s’échappe et poursuit son chemin sur les dalles. C’est un spectacle émouvant auquel assiste chaque année une poignée de Berruyers.
Les autres jours de mars à octobre, à midi heure solaire, le rayon suit une ligne méridienne en laiton encastrée dans le sol, le gnomon. Cela permettait aux chanoines de la cathédrale qui devaient se réunir six fois par jour à des horaires très précis de savoir à quel moment de la journée ils se trouvaient.
La faune cachée des vieilles pierres
L’édifice est un refuge pour les chauve-souris, notamment en hiver. Au Moyen Âge, on en comptait des milliers. Aujourd’hui, dix espèces sont recensées, notamment la pipistrelle. Cette toute petite chauve-souris a pris l’habitude de nicher dans les vantaux de la façade occidentale. Cela pose parfois quelques problèmes l’hiver lorsque l’ouverture des portes entraîne leur chute en pleine hibernation. Le muséum d’histoire naturelle de Bourges, partie prenante dans la protection de cette espèce, a fait installer un gîte spécial afin qu’elles puissent nicher en toute sécurité.
La cathédrale est également le sanctuaire de nombreuses espèces d’oiseaux :
- l’hirondelle des fenêtres ou l’hirondelle rustique ;
- le martinet ;
- le faucon pèlerin ou crécerelle ;
- le rougequeue ;
- la chouette hulotte ou effraie ;
- le tichodrome échelette (“oiseau papillon”).
Les fantômes de la cathédrale ?
Que l’on croie ou non aux revenants, difficile de ne pas penser aux illustres personnages qui ont foulé le sol de ce monument séculaire.
Charles VII, le “petit roi de Bourges”, s’y est lui-même proclamé roi de France le 30 octobre 1422, alors que le traité de Troyes le déshérite du trône au profit du roi d’Angleterre.
Son grand argentier Jacques Coeur lui a fait dédier des peintures murales sur la voûte d’entrée de la sacristie capitulaire. Il ordonne également la construction d’un vitrail d’une grande beauté : une annonciation dotée de plusieurs symboles le représentant. Certains avancent même que le visage de l’ange Gabriel reprendrait ses traits. Jacques Cœur fera de son fils Jean l’archevêque de Bourges
Le futur Louis XI y est baptisé le 3 juillet 1423. En 1429, Jeanne d’Arc réside quelque temps à Bourges et va souvent prier en la cathédrale. Sa présence crée parfois des attroupements dus à sa récente célébrité.
Marcel Bascoulard, cet artiste fantasque assassiné en 1978, qui a dessiné de si nombreuses fois la cathédrale avec une précision extraordinaire, revient peut-être lui aussi pour croquer son monument préféré ?
Que ce soit un point de chute déterminé ou une simple étape de voyage, Saint-Etienne de Bourges est réellement un joyau de l’art gothique, qui vaut qu’on s’y attarde. Si la curiosité vous prenait de vouloir faire une escapade berruyère, pourquoi ne pas vous y rendre pendant la saison estivale ? Vous pourrez profiter des “Nuits Lumières”, un parcours nocturne mettant la cathédrale illuminée au centre de la découverte de la ville. Une bien jolie façon de découvrir ce joyau du Berry !